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Résistance – 4

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De quoi François est-il le nom ?

François,

On aime bien te siffler et t’accabler, mais tu es plutôt un bon gars sympa, du genre le copain qui fait rire : tu sais, comme dans les films américains, avec le héros un peu torturé mais promis à un brillant avenir (genre le Président Valls) et son copain-bon-gros (genre toi), qui est parfois son patron mais qui est un peu dépassé par les événements ; il ne comprend pas tout et son pote lui explique avec gentillesse ou commisération comment ça marche (et le patron est bien content) avant de racheter la boîte, de sauver le monde et d’emballer la fille.

Je dis ça, je dis rien, mais le gars Valls a quand même les chevilles un peu enflées, au point de te piquer ta fameuse anaphore, sur le mode plaisant qui est le sien (« Moi, ministre en charge de l’ordre républicain… » : brrr). D’un autre côté, comme tu expliques, je te cite, que tu te « félicites » qu’un ministre de ton gouvernement « définisse la stratégie qui est la [t]ienne » (1), on ne va pas trop te plaindre. C’est charmant, on a l’impression que tu lui mets la main sur l’épaule, façon patron content de son apprenti, pendant que l’autre te regarde avec une admiration à la Brutus (je me suis souvenu du jour où il t’avait refait le nœud de cravate).

Tout ça pour dire, c’est pas vraiment ce que tu racontes ou ce que tu fais qui compte, mais plutôt les agissements de tes lieutenants : ils te laissent tes brillantes métaphores sur la boîte-à-outils et ton registre de bon vieux shaman un peu gâteux qui s’emmêle les pieds (« la reprise, elle est là ! ») – et ils font le vrai bon sale boulot.

Alors, on a raison de te traiter de dictateur ?

C’est selon. Dictature, autoritarisme, totalitarisme mou, socialisme normal… Compliqué de savoir ce que tu désignes. C’est vrai, d’un côté, on n’est pas en Corée du Nord, on n’est pas en Lybie sous Khadafi, on n’est pas à Cuba (ça fait beaucoup de références socialistes, je m’excuse – mais je peux aussi citer l’Amérique de Bush et d’Obama ou la Communauté européenne en tant qu’entité technocratique). La France de 2013 ressemble en fait à celle de De Gaulle, ou à l’URSS des années 80, quand la dissidence montait en puissance. C’est-à-dire qu’on n’y est pas encore mais que ça frémit. Certes, il n’y a pas de camp de concentration, les médias sont libres et la liberté d’expression est théoriquement assurée – mais d’un autre côté, l’embryon humain peut ne plus être qu’une matière totalement instrumentalisée par la technique, la caste médiatique est consanguine à la caste politique, les technocrates ont envahi l’appareil du pouvoir, les flics dispersent les Veilleurs debout et chassent les t-shirts LMPT, et quand on est à la périphérie du système on peut toujours s’égosiller à s’exprimer, il n’y a aucun relais dans les mass-médias du capitalisme marchand – ceux qui font et verrouillent l’audience.

On a une vieille tradition, en France, qui est la « conduite au rétroviseur sélectif», ou CRS : quand le Président Valls déboule dans le Gard, vas-y que je te convoque Jaurès et Clemenceau, Ferry et Blum, Gambetta et Ayrault, toutes les vieilles gloires qui justifient le présent. C’est ça, la conduite au rétroviseur : on est plus attentif à ce qui s’est passé qu’à ce qui se passe (2). Une fois que c’est passé, il y a toujours les gens malins qui vous expliquent qu’ils l’avaient bien dit, mais bon : personne n’avait vu les révolutions arabes arriver, personne n’avait vu Morsi se faire renverser, pas grand monde a moufté avant que l’embryon soit chosifié (3) (et pas grand monde depuis) (4). Donc, là, les lieutenants du Grand Mou sont en train d’installer une dictature où les opposants sont des factieux, où coller un autocollant du Printemps français est un acte grave, où la justice n’hésite pas à prendre parti, où on a le droit de mentir sur l’état de la France, où il est légitime de refuser le droit d’asile à Snowden de la façon la plus minable, où on parle d’arracher les enfants au déterminismes familiaux, religieux et culturels, où la police de la pensée est omniprésente à l’école et dans les mass-médias…

Quand le Président Valls déclare, dans le Gard : « La gauche doit assumer la nécessité d’autorité, car l’autorité n’est pas une dérive qui menacerait les libertés. C’est tout le contraire ! Si je crois en l’autorité, c’est parce qu’elle est fondamentalement émancipatrice des individus. […] Mais il n’y a pas à choisir entre l’ordre et les libertés ; c’est un tout ! Il s’agit de réinstaller l’ordre et l’autorité dans leurs vertus premières : celles qui permettent de constituer les individualités, de les protéger et de leur assurer le plein exercice de leurs libertés, d’étendre les frontières du possible », on a le droit d’avoir peur.

Alors, oui, nous sommes en dictature ; au début ; quand ceux qui acceptent de troquer l’oppression contre la sécurité et l’intelligence contre le confort trouvent que les choses sont supportables et qu’il ne faut pas exagérer. Il y en avait dans l’empire romain, il y en avait dans tous les pays qui sont tombés en dictature. Généralement, on les retrouve en thuriféraires du nouveau régime.

Quant aux vieux révolutionnaires usés dans l’attente d’une apocalypse sauvage, comme de petits Drogo aigris, qui trouvent que nous ne souffrons pas assez, sans doute, et que notre volonté de désobéissance n’est pas assez radicale, nous les laissons à leur nostalgie militante et préférons protester immédiatement contre la répression et œuvrer tout de suite à sortir du système. Ça ne fait pas de nous des « bisounours », ça fait de nous des militants qui veulent agir maintenant, autrement qu’en manifestant, en s’engageant localement, chaque jour, humblement, et pour longtemps.

Car nous vivons au quotidien, ancrés, solidaires par force et par goût. Nous vivons dans le réel, là où la dictature de la pauvreté, de l’isolement, de l’incompréhension, de l’abandon fait des ravages ; là où les gens sont chômeurs, là où on ne part pas en vacances, là où on pille les trains et attaque les commissariats ; là où prendre le RER est une épreuve, où le travail est rare et l’école un combat ; là où la relance… n’est pas là. Nous vivons dans ce monde où la parole « performative » de ceux qui affirment que personne ne caillasse, que personne n’a peur, que personne n’est méprisé, ne performe rien. Nous vivons dans le réel, là où il ne suffit pas de nier la réalité pour qu’elle se transforme.

Nous vivons dans la tyrannie du présent – et c’est pourquoi nous savons reconnaître la dictature quand elle avance. Elle a été précédée par tout ce qui aurait pu nous détruire.

 

1. « Qu'un ministre, en l'occurrence Manuel Valls, fasse un discours pour soutenir la politique du gouvernement et définir la stratégie qui est la mienne, je ne peux que m'en féliciter. »

2. Le rétroviseur est sélectif car généralement Valls / Sarkozy / Taubira / Peillon / Hollande / etc. oublient de parler de l’antisémitisme de Jaurès, du racisme de Blum, de la violence de Gambetta, de l’anticléricalisme de Clemenceau, de l’incompétence d’Ayrault, etc. – et des conséquences admirables de toutes leurs lois ou des fruits de leurs gouvernements.

3. Quand même, on a mobilisé 770 000 personnes contre le mariage gay, en France, pour la pétition du CESE, et on n’est pas capable d’en rassembler autant sur une révolution anthropologique bien plus grave ? Mais faut signer ! C’est là : http://vous-trouvez-ca-normal.com/je-signe-la-petition

4. Avec toujours les évêques “un peu” à la traîne : le 16 juillet, quand la loi a été votée, l’actualité c’était la Légion d’honneur de l’évêque de Bourges, dans la rubrique « relations avec l’État » : ouais, super…


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